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Avignon se pose à Paris (1/2)

Dernière mise à jour : 31 août 2020

Les deux codirecteurs du @theatreBLIGNY : Nicolas Hocquenghem et Didier Dicale se sont rendus au FESTIVAL D'AVIGNON.


Enfin presque : au PARISoffFESTIVAL reconstitué au Théâtre 14 et dans un gymnase de l’arrondissement sous la houlette de l’équipe de MathieuTouzé et EdouardChapot, jusqu’au 18 juillet 2020.




Nos deux compères de l'Essonne on choisi le grand rush avec 14 spectacles en deux jours. Il ont quasiment vu toute la programmation et en sont sortis indemnes.


Une première chose saute aux yeux des programmateurs : ils sont les seuls à payer plein pot !


Le Pass-Pro est « hideusement cher » se lamente l’ego d’un directeur de théâtre agacé. On peut constater qu'il est quand même venu.


Certains se sont offusqués de cette situation, habitués à ne jamais payer leurs spectacles, mais le parti-pris des organisateurs est de récolter ainsi des fonds supplémentaires à distribuer aux artistes qui en ont bien besoin.


D’autant que pour le public, le billet est à 15 euros, que l’on peut négocier et s’en tirer pour presque rien.



Bligny a choisi de jouer le jeu.


D’abord, il faut rendre hommage aux organisateurs de ne pas nous servir un résumé parisianiste, mais -d’une certaine façon- d'avoir réussi à effectuer une sélection représentative du spectre avignonesque tel qu'on peut le déchiffrer chaque année sous le cagnard du Vaucluse.


Il faut dire que cette année est vraiment particulière, dure et désespérante pour les artistes du spectacle vivant : certaines compagnies sont dévastées et l’inquiétude est palpable de tous côtés : troupes de toutes catégories, théâtres de tous ordres et prescripteurs de tous acabits...


Alors -du coup- quelles sont les propositions des artistes faites aux programmateurs pour les saisons artistiques qui arrivent : 2021 et 2022 ?


Pas de distributions à rallonge, de scénographie savantes et d’artifices coûteux : On revient à l’essentiel et on fait des économies.


Les prix des sessions ont relativement chuté. En effet, les théâtres ont perdu la moitié à jusqu'à deux tiers de leur jauge (comme Bligny qui a fait des choix radicaux) et l’on suppose que cela va négocier sévèrement à la baisse dans les cuisines.


D’abord, peu de textes écrits pour le théâtre par ce que l’on appelait autrefois des « auteurs dramatiques ».


Beaucoup d’adaptation, des compilations, des résultats d’ateliers et des écritures au plateau, des créations collectives.


La dramaturgie de haut niveau n’est pas obligatoirement la caractéristique majeure de ce cru 2020.


Une majorité de seul en scène, peu de décors, des costumes réduits sauf exception et pas plus de trois acteurs, ou quatre pour ce que l’on en a vu.


Cela va du spectacle vivant structuré et bien rodé au timide monsieur tout seul qui nous raconte une histoire dans son micro sans bouger d’un millimètre pendant 60 minutes à la seconde près, et sans réussir à nous ennuyer cependant ("La cicatrice").


Pas d’immenses révélations, mais des œuvres intéressantes sans doute, pas obligatoirement complètement abouties suite au confinement et au grand bouleversement des artistes, mais prometteuse pour une bonne part.


Tout Avignon.


Les manies récurrentes de cet Avignon 2020 là apparaissent clairement : ça ne bouge pas beaucoup ; pas mal de micros sur pied ; on fume des cigarettes sur scène ; on fait du play-back avec plus ou moins de réussite ; on lit des livres ou l’on fait semblant ; on danse parfois de manière gauche et l’on tombe par terre ; des acteurs interviennent depuis la salle ; on engueule le public alors, ou les techniciens.


On nous prend aussi parfois pour une classe de maternelle que l’on peut manipuler comme une poule ahurie : On se laisse faire après une seconde d’hésitation.



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"L'ordre du jour" / Dominique Frot au Théâtre 14 à Paris. Juillet 2020

Chronique mise à jour, seconde édition)


Dominique Frot : Le trou noir qui prend toute la lumière !


La diva de cet Avignon 2020 à Paris est incontestablement Dominique Frot ; "L’ordre du jour" d’après Eric Vuillard. Ce petit bout de femme, quasi monstre sacré rempli la salle de sa voix éraillée et adéquate sur le thème de la plus profonde abomination de l’histoire de l’humanité.


Son entrée de scène, son sac à main, ses larmes vraies, son visage dévasté, ses rires aussi qui en sont déjà le corollaire... Dès la première seconde on comprend que tout peut recommencer, n'importe quand.


Sa puissance d'acteur va de pair avec une économie de geste confondante. Rien ne bouge. Au bout de vingt minutes, on nous montre qu’il y a là un tabouret que l’on n’avait pas vu et qui servira fort peu. Il y a aussi cet autre accessoire gros comme le nez au milieu du visage et qui semble abandonné là sans servir.


Cela crée un effet de frustration qui accentue le propos. Le public est immobile, à l’image de l’actrice qui ne bouge pas d'un cil.


Ah si, finalement, elle s’assoit, et c’est pour regarder avec nous des images que l’on ne comprend pas de prime abord dans un quasi-silence qui paralyse.

Cela pourrait être lourd et éprouvant, mais l’actrice a de la bouteille et elle nous arrache quelques rires lorsque l'on se trouve un peu trop près du précipice.


Mais avant cela, elle a quitté la scène un moment, vient nous rejoindre dans la salle, et alors, tout un coup, on comprend ce qu'il se passe : ce n'est pas à un spectacle qu'elle nous a invités.


Ho non. Nous ne sommes pas dans le divertissement !


On est dans un théâtre oui, mais on l'oublie. On est projeté sous les fiers plafonds hauts de la chancellerie du Reich, ou les salons pitoyables du 10 Downing Street, ou dans les camps, avec ceux qui y sont, là, au service de l'industrie allemande pour les plus chanceux...


On est dans l'histoire, toute prête à resservir ses plats moisis. Elle remonte sur scène et poursuit dans le noir total. Et ce n'est une panne de lumière. On a eu peu peur.



Alors à la fin, il se passe quelque chose d'extraordinaire qui ne peut se dérouler qu'à l"apothéose de la grande tragédie classique.


Après les applaudissements que l'actrice interrompt bien vite pour donner une note sur un point de détail de son récit, on s'attend à d'autres applaudissements pour accompagner le départ de la comédienne, eh bien non, rien de cela ne se produit !


Elle reste là, face à nous -on la devine fatiguée- dans un profond et interminable silence.


Non pas un silence lourd ou gêné, mais un silence reposé. Le silence de la catharsis qui prend une salle entière aux plus hauts moments de l'art théâtral.


Et puis elle part finalement dans un petit rire, nous laissant dans un coin le sac à main noir qu'elle portait à son entrée.


On est bouleversé. La salle se rallume complètement, alors on part, parlant peu.


Merci Madame.


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Rafraîchissant, "Spécimens" nous entraîne dans les premiers émois des adolescents au moment de passer le cap. Il est bien niais notre ado de service, mais se croit déjà un gros dur infaillible. Elle, à son tour nous joue la délurée, mais tremble comme une feuille.


On prend un sacré cours de rattrapage, et un coup de jeune : on avait oublié que le premier baiser est le résultat d’un long cheminement franchement biscornu ; que nos parents étaient vraiment coupables de tout, de tout, de tout, et que leurs enfants ne sont plus des enfants ; que les ados s’entre-accusent constamment d’être immatures et que les garçons ont la facile tendance de se mettre à genoux toutes les 5 minutes comme s’ils tendaient à leur belle la plus grosse bague en diamant de la rue de la Paix.

Quant à elles, les "zadotes", elles en font ce qu’elles veulent de leurs "zados" et connaissent déjà toutes les subtilités de la provocation pré-sexuelle et du repli tactique de dernière seconde.

Le garçon adore ça, ça alimente sa libido débutante et l’on suit avec attendrissement les aventures humides de nos deux tourtereaux.

Dans la salle, plus on est vieux et plus on a la banane.



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Le seul vrai décor que l’on a vu est celui de la Compagnie De onze à trois heures. On est dans une boîte astucieuse, espèce de salon prolo des seventies à gros papier peint et "Ultra girl contre Schopenhauer" est avant tout une histoire de fille : une super-héros américain en short moulant taille haute et une groupie amoureuse pas trop maline en tailleur de secrétaire.

Les hommes ne font que passer et ils ont le mauvais rôle. Tous les clichés hollywoodiens y passent et cela ne nous dérange pas. On est en Amérique, la scénographie est cohérente et le jeu caricatural à souhait.

On regrette seulement que les acteurs ne soient pas américains quand ils chantent.

On ressort ravi sans doute et l’on suppose que ce spectacle connaîtra une belle carrière, si ce n’est déjà fait.



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Karelle Prugnaud / "Le cas Lucia J" au Théâtre 14 à Paris. Juillet 2020.

On ne savait pas que la fille du grand écrivain James Joyce avait eu des problèmes psychiatriques lourds et bien souffert dans les établissements spécialisés où elle était retenue.

On confirme qu’elle est bien folle et son rapport avec le monde n’est pas vraiment bon comme on s’en doute.


L’actrice de "Le cas Lucia J" : Karelle Prugnaud est excellente dans ce rôle casse-gueule .

Eugène Durif, l’auteur, intervient un peu à l’impromptu depuis la salle bien remplie. Il nous dit que le metteur en scène n’est pas là et (il saute sur l'occasion) demande à la comédienne de reprendre la scène précédente, un peu plus comme ceci et moins comme cela surtout. On se demande si l’on rêve, mais elle s’exécute comme le meilleur élève d’un master-class difficile.

C'est du théâtre. On est bien chez les fous !

On aurait voulu qu’elle soit dirigée avec un peu moins d’exubérance outrée et l’on a pensé à la sortie qu’il aurait été intéressant d’assécher tout cela.

Très belle performance d’actrice en tout cas, très physique, jusqu’à la cascade spectaculaire qui nous fait croire à un accident.



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Avec "Une goutte d’eau dans un nuage", on se retrouve à l’écoute d’une fiction dramatique sur France Culture une nuit d’insomnie à 4 heures du matin. Le décor bric à brac ne sert à rien et c’est voulu.

Là aussi cela ne bouge pas beaucoup et l’on aurait aimé que l’actrice nous parle de vive voix.

Le micro qui lui cache la moitié du visage comme le masque auquel nous nous sommes habitués occulte un peu le jeu d’acteur, mais ce n’est pas grave.


On a envie de fermer les yeux pour mieux écouter. On part au Vietnam pour refaire notre vie. La bande-son de très haut niveau sert bien le propos : nous engourdir dans nos propres secrets intimes.


On ressent la chaleur moite de Saïgon et les espoirs confus de notre exilée volontaire.

Et c’est là que s’exprime la seule valise de tout le festival. On voit de moins en moins de valises sur les scènes de théâtre, la mode est passée, et cet archaïsme rajoute à la mélancolie qui nous envahie progressivement au cours de ce long monologue fort bien illustré.



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"Ronce Rose" avec l’excellent Jean-Louis Balle est un autre objet saisissant de ce festival.


On comprend tout de suite en entrant dans la salle, voyant l’énorme chaise qui trône sur un côté du plateau que l’on va avoir affaire à un bébé, mais ce n’est pas exactement ça qui se produit.

Le comédien n’a pas besoin de micro pour remplir la salle d’une voix presque chuchotée, et son immobilisme prolongé, son économie de gestes, sa langue languissante et faussement reposée, puis ses lents mouvements circulaires un peu autistes autour du tapis nous laissent tout le temps de nous laisser imprégner de cette quête d’enfant pas toute rose, mais emprunte d’une innocence bien dépressive qui sert le propos du roman de Chevillard, qui n’est pas ici trahi.


Ce qui est intéressant peut-être là, c’est que le langage d’enfant presque abusif adopté par l’acteur n’enlève rien, ou plutôt rajoute à la perte de vitalité progressive et au désenchantement du personnage.

On frissonne. Et malgré la monotonie de la diction, on n’a pas le temps de se lasser.


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"Étienne A" est manager dans un entrepôt Amazon, affecté à la salle de recyclage et de tri des colis retournés. On imagine un peu la voie de garage, mais le drôle est super motivé et joue à fond le jeu de son employeur, ragaillardi par le petit pouvoir qu’il peut exercer sur ses équipiers serviles.

On imagine aussi qu’il n’a pas dû beaucoup travailler à l’école et qu’il n’ira pas plus loin, et qu’il pourrait bien se faire virer demain matin, lui qui fait peur à ces collègues en leur racontant les réunions auxquelles il assiste, où l'on parle de fréquents dégraissages.

On sent que sa vie sexuelle est un peu vide, mais son chien à l’air sympa et bêtement fidèle. C’est bien le seul auquel il parle à peu près normalement.

En observant le personnage joué par Nicolas Schmitt, on est saisi d’un peu de cruauté pour ce nervi pitoyable et pathétique. Il n’a pas l’air heureux, mais l’on a quand même envie de lui enfoncer la tête sous l’eau.

Si vous le pouvez, n’allez jamais travailler chez Amazon, vous risquez -au pire- d’y rester !



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Pour ceux qui n’ont jamais lu la Princesse de Clèves, c’est une découverte peut être émouvante.

On s’y perd un peu dans cette adaptation et les deux acteurs courageux font de louables efforts pour nous faire pénétrer ce roman du passé en lui donnant un petit goût contemporain iconoclaste, et cependant irrémédiablement désuet. C’est chou à souhait, mais on ne sait pas toujours où l’on en est.

Avec "Mon premier, c’est désir", on veut bien croire que c’est une histoire d’aujourd’hui, mais les titres de noblesse évoqués et les manières compassées des personnages de cette littérature nous rattachent définitivement à un passé déclassé, mais qui reste intéressant pour ceux qui aiment lire des livres.


Il faut prendre son temps, et l’on peut se laisser entraîner.



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Ha ! Enfin de l’outrance avec les artistes du cabaret de curiosités de "Le 32".

Une soubrette au profil de dame pipi agace le public et met en valeur trois artistes transformistes caricaturaux à souhait, et sans vergogne, qui jouent entre eux à enchanter le public qui ne demande que ça.

Ça parodie la diva sublime, ça s’effeuille langoureusement, ça chante alternativement juste et faut (ils doivent le faire exprès) et ça se pavane comme il se doit dans un flot de soupirs lascifs et de cambrures psycho-érotiques.


La graisse déborde, les costumes participent avantageusement du spectacle joyeux et la lumière de boîte de nuit nous rappelle en même temps qu’on n’est pas près d’aller danser toute la nuit. Alors on se laisse faire.

On applaudit à tout va, on hurle à l'envie ou à la demande. On en oublie presque que 2020 est une année de merde.


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Voilà, nos deux amis du @theatreBLIGNY sont repartis après cela en se disputant comme d'habitude au sujet de tout ce qu’ils ont vu.



Ils doivent rentrer dans le théâtre que le président du Centre Hospitalier de Bligny leur a confié, où un nouveau projet de création théâtrale les attend avec impatience.


Ils reviendront en Avignon avant la fin de la semaine pour voir Sans effort dont on leur a dit du bien.



Tim Crouch / "Moi Malvolio" au Théâtre 14 à Paris. Juillet 2020.

Et puis on vous parlera de Moi Malvolio où l'on avait rarement autant ri de se faire aussi outrageusement maltraiter ; et aussi un peu plus de Cicatrice qui mérite le détour...



Hé, hé, hé...



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