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Photo du rédacteurThéâtre de Bligny

Avignon se pose à Paris (2/2)

Dernière mise à jour : 31 août 2020




L'art du clown est d"un abord difficile, qui demande un engagement considérable de la part de l'artiste ; est peu porteur de nos jours d'un point de vue économique à moins de fréquenter les hauteurs astronomiques, et a trop été dévoyé, rigidifié, déformé, amoindri, liquéfié, amorti, délavé, déclassé, trahi pour rester une valeur sûre : On a difficilement confiance finalement. On se dit que cela ne concerne que les petits enfants.


Et pourtant, à la base, depuis toujours, le clown est fondamentalement un art pour adultes qui y ont traîné leurs enfants.


Parce qu'il serait erroné de confondre le travail du moindre amuseur un peu talentueux avec le considérable investissement des clowns véritables : acteurs, auteurs, musiciens, parfois magiciens, philosophes, répétiteurs compulsifs, athlètes bien souvent et parfois acrobates, tant il est vrai -on s'en rend rarement compte- que l'investissement physique du clown représente une part importante de ses obligations quotidiennes.


Il est vrai aussi que le One Man Show contemporain a relégué le genre au rang des antiquités, même s'il ne s'agit là que d'un ersatz partiel puisque seul le rire subsiste alors , et pas le reste, tout le reste, l'immensité insondable du reste.


On rencontre donc de plus en plus rarement le coupe formé par l'Auguste bêta et le Clown blanc autoritaire -l'archétype du genre. Ils ont disparu avec le cirque tel qu'on le connaissait autrefois avant l'arrivée de la télévision.


Ne pleurons pas pour autant.


La relève existe cependant, et par certains aspects, la tradition se perpétue, autrement. La filiation persiste.


On oublie souvent que l'une des caractéristiques majeures du clown est la méchanceté -car oui les clowns sont méchants depuis toujours- et cette feinte sécheresse de cœur (le plus gros moteur de rire) est une caractéristique du genre et ceux qui veulent se lancer dans cet art ne devraient pas négliger cet aspect-là.



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Tim Crouch dans "Moi Malvolio" au Théâtre 14. Juillet 2020.
Tim Crouch dans "Moi Malvolio" au Théâtre 14. Juillet 2020.


De la méchanceté, le personnage désespéré projeté sur nous par le très british Tim Crouch n'en manque pas.


Cet acteur apparemment brouillon fait preuve dans "Moi Malvorio" d'une rigueur et d'une inspiration assez admirable et rentre sans faillir dans la grande tradition.


Il vous choppe dès l'entrée dans la salle et vous agresse sans courtoisie aucune avant même votre installation dans les gradins. Mais pas n'importe comment. Son visage grimaçant garde une haute vigilance du "contexte" de ses victimes, de ce qu'il en ressent (on pourrait dire : de sa compassion), et les adresses personnelles venimeuses sont toujours strictement calculées, alors que la foule, elle, dans son ensemble en prend plein la tronche sans -apparente- retenue.


Malgré son aspect négligé, son costume sale et ses fesses à l'air, Tim Crouch n'est pas un va-nu-pieds.


C'est un lettré qui a fait des études universitaires, et -sans rien révéler de plus ici du spectacle- on se met à penser à la sortie, après cette douche froide bouillante si bien volontiers consentie, que pour engueuler aussi violemment les gens, leur montrer le plus hideux visage du plus méchant des clown, il faut bien -quelque part- les aimer...



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Rose Beef et Pazz Teck dans BEEF-TEX au Théâtre 14. Juillet 2020
Rose Beef et Pazz Teck dans BEEF-TEX au Théâtre 14. Juillet 2020


Les petits bouts de choux déguisés en gilets jaunes et leur éducatrice masquée ont adoré la prestation assez réussie des jeunes clowns du Collectif Te Salue dans "Beef Tek". Ils ont sauté, hurlé, applaudi, agité sans retenue les travées du @théâtre 14, répondu aux injonctions, trépigné, montré leur visage ravi, se chamaillant leurs rires, ou bien parfois stupéfaits, cherchant alors confirmation de ce qu'ils vivaient en se tournant vers leur éducatrice.


Les pioupious ne souviendront longtemps de leur spectacle en ouverture du #PARISoffFESTIVAL du @Théâtre14 et les jeunes artistes sur scène ont dès ce moment-là réussi leur festival d'Avignon parisien à eux.


On ne saurait cependant que souhaiter aux comédiens se destinant à la dure loi du clown de rencontrer un grand-maître. Il en reste peu, ils sont âgés, mais ils enseignent encore volontiers à ceux qui montrent réellement leur intérêt pour cette discipline ardue et si enrichissante pour l'artiste.


On ne s'improvise pas clown.


C'est un long cheminement exigeant. Cela s'apprend tout au long de la vie ; et surtout il y a des clés, des secrets inimaginables que l'on ne peut pas découvrir tout seul. Des secrets que même bien des clown-enseignants ne connaissent pas, et qui pourtant orientent vertigineusement une vie d'artiste.


Un pied à l'étrier est nécessaire. Sans cela, on risque de passer à côté de tout un pan gigantesque de cet art majeur et bien esseulé désormais.


Alors que l'on ne se trompe pas. Les artistes du Collectif Te Salue font du beau travail et ce qu'il présentent peut être taxé de clown sans rougir.


Mais il leur manque encore, en début de carrière, ce petit quelque chose impalpable qui fera d'eux de grands interprètes -ils le méritent- s'il réussissent à se donner la peine de diversifier leurs expression, de gommer les petites ruptures qui émaillent encore leur travail, d'aller plus loin. Beaucoup plus loin.


Car l'art du clown est un art extrême, et la retenue pudique n'est pas de mise. Bonne route les amies.


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Vincent Menjou-Cortés
Vincent Menjou-Cortés

La cicatrice -d'après Bruce Lowery, belle performance de Vincent Menjou-Cortés dans sa propre mise en scène inexistante et si astucieuse- n'est pas du tout une histoire de clown, mais il y a peut-être de cela dans l'économie millimétrique de l'absence de gestes qui crée une distorsion troublante et comique cependant, tout au long de ce... spectacle.


On ne vous dira là presque rien de tout ce rien qui prend toute la place, parce que quelque chose accroche tout de suite le regard en entrant dans la salle. Ne nous apporte aucune information sur ce qu'il va se passer, mais alors beaucoup sur les conditions de son déroulement. Ce serait gâcher que révéler le dispositif en question.

Alors en entrant, certains font montre d'agacement à la vue de ce micro sur pied et cette petite estrade, comme lorsqu'on rentre dans une salle où un pupitre trône au milieu du plateau et que l'on se dit "M..., une lecture !"


Un petit garçon timide vient nous raconter ce qu'il lui est arrivé, ce qu'il a fait de pas bien du tout, et nous explique pourquoi, comme on explique candidement pourquoi on a volé la confiture.


Mais l'affaire est d'une autre importance, va semer le trouble dans deux familles, dans une école tout entière, dans une petite communauté villageoise, et révéler les penchants méchants, ou étonnamment généreux des enfants entre eux, particulièrement à l'endroit de ceux qui sont différents. Quand aux parents, comme d'habitude dans les histoires d'enfants, ils sont loin d'être à la hauteur.


La cicatrice est la partie émergée d'un complexe de société. D'une peur.


Ça commence comme une comédie, nos craintes s'estompent et on est tout de suite à l'aise.


L'acteur tient la route ; l'identité physique minimaliste de son personnage est cohérente, bien dessinée et force le respect pour cet enfant qui n'est pas bien heureux dans sa peau, ni en société.


Mais le drame prend bien vite la place de la candeur à travers cette "erreur" commise et qui va avoir tant de conséquences. Et puis à un moment, on bascule vers "autre chose", une sorte d'effroi calme et bouleversant dans ce monde enfantin somme toute si... normal.


La tragédie nous fouette un visage déconfit alors que l'on espérait plutôt un adoucissement de ce mic-mac, et l'on n’y peut rien.


Ça se termine brutalement au milieu d'une ...


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Dominique Frrot : Le rou noir qui prend toute la lumière.
Dominique Frot / "Ordre du jour" au Théâtre 14. Juillet 2020

Dans un autre domaine qui n'a rien à voir, on a revu avant de repartir l'extraordinaire prestation de Dominique Frot dans "Ordre du jour".


On y tenait, car on avait vu le spectacle depuis tout en haut des gradins et la précision des expression de son visage nous avait manqué. On s'est alors mis au premier rang et l'on n’a pas été déçu. Quelle force ! Quelle violence aussi ! Quel courage pour une actrice de se révéler ainsi !


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(Chronique mise à jour, seconde édition)


Dominique Frot : Le trou noir qui prend toute la lumière !


La diva de cet Avignon 2020 à Paris est incontestablement Dominique Frot ; "L’ordre du jour" d’après Eric Vuillard. Ce petit bout de femme, quasi monstre sacré rempli la salle de sa voix éraillée et adéquate sur le thème de la plus profonde abomination de l’histoire de l’humanité.


Son entrée de scène, son sac à main, ses larmes vraies, son visage dévasté, ses rires aussi qui en sont déjà le corollaire... Dès la première seconde on comprend que tout peut recommencer, n'importe quand.


Sa puissance d'acteur va de pair avec une économie de geste confondante. Rien ne bouge. Au bout de vingt minutes, on nous montre qu’il y a là un tabouret que l’on n’avait pas vu et qui servira fort peu. Il y a aussi cet autre accessoire gros comme le nez au milieu du visage et qui semble abandonné là sans servir.


Cela crée un effet de frustration qui accentue le propos. Le public est immobile, à l’image de l’actrice qui ne bouge pas d'un cil.


Ah si, finalement, elle s’assoit, et c’est pour regarder avec nous des images que l’on ne comprend pas de prime abord dans un quasi-silence qui paralyse.

Cela pourrait être lourd et éprouvant, mais l’actrice a de la bouteille et elle nous arrache quelques rires lorsque l'on se trouve un peu trop près du précipice.


Mais avant cela, elle a quitté la scène un moment, vient nous rejoindre dans la salle, et alors, tout un coup, on comprend ce qu'il se passe : ce n'est pas à un spectacle qu'elle nous a invités.


Ho non. Nous ne sommes pas dans le divertissement !


On est dans un théâtre oui, mais on l'oublie. On est projeté sous les fiers plafonds hauts de la chancellerie du Reich, ou les salons pitoyables du 10 Downing Street, ou dans les camps, avec ceux qui y sont, là, au service de l'industrie allemande pour les plus chanceux...



On est dans l'histoire, toute prête à resservir ses plats moisis. Elle remonte sur scène et poursuit dans le noir total. Et ce n'est une panne de lumière. On a eu peu peur.



Alors à la fin, il se passe quelque chose d'extraordinaire qui ne peut se dérouler qu'à l"apothéose de la grande tragédie classique.


Après les applaudissements que l'actrice interrompt bien vite pour donner une note sur un point de détail de son récit, on s'attend à d'autres applaudissements pour accompagner le départ de la comédienne, eh bien non, rien de cela ne se produit !


Elle reste là, face à nous -on la devine fatiguée- dans un profond et interminable silence.


Non pas un silence lourd ou gêné, mais un silence reposé. Le silence de la catharsis qui prend une salle entière aux plus hauts moments de l'art théâtral.



Et puis elle part finalement dans un petit rire, nous laissant dans un coin le sac à main noir qu'elle portait à son entrée.


On est bouleversé. La salle se rallume complètement, alors on part, parlant peu.


Merci Madame.


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Christine Narovitch de la Compagnie Oghma
Christine Narovitch de la Compagnie Oghma

La prochaine chronique publiée ici le sera depuis les rues pittoresques du village d'Auriac-du-Périgord dans le Périgord Noir à l'occasion du festival de théâtre baroque L'Oghmac de la compagnie L’Oghma.


Sublime baroque où la tête trône et les bras composent...




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